Les murailles de Jéricho

Responsabilités américaines

Tout cela, bien entendu, c'est l'Allemagne coupée en deux. Nous avons dit les responsabilités de M. Molotov. Nous serions injustes de lui faire porter tout le poids du fiasco de Moscou. Le général Marshall est un grand esprit. Il voit clair, juste et large. Malheureusement, il était par trop inexpert aux questions de procédure à quoi ses partenaires – et les membres de sa délégation - se sont complus à l'enliser. J'ai eu pour ma part l'impression d'un Marshall freiné dans l'ombre par un Byrnes.

La situation du secrétaire d’État américain présentait une autre difficulté. Ce sont des raisons de politique intérieure – des raisons constitutionnelles même – qui l'ont porté au département d’État. On a voulu placer une sorte d'arbitre incontesté entre le président démocrate et le Parlement républicain. Cette position a ses servitudes. Le général Marshall doit tenir compte en particulier de l'opinion publique des Etats-Unis.

Si bien que la Conférence de Moscou n'a pas été la rencontre de deux diplomaties mais le heurt de deux opinions publiques. C'est l'opinion publique américaine qui a provoqué Marshall à mettre en question la frontière Oder-Neisse. C'est son opinion publique qui l'a rendu, pour les réparations sur la production courante, plus ferme que la tactique diplomatique ne l'eût peut-être exigé. Mais du côté russe aussi, la politique intérieure n'est-elle pas pour beaucoup dans cette demande de réparations ? Pour l'économie soviétique, cinq millions de dollars par an de réparations sont une pacotille (évidemment le réalisme russe ne considère jamais l'argent comme une pacotille). Les Américains ont eu tort de croire que les Soviets pourraient céder sous le poids des difficultés économiques qu'ils traversent. Les Soviets en ont vu d'autres. La patience de leur peuple est inlassable. En réalité, c'est le principe des réparations sur la production courante qui intéresse l'URSS, beaucoup plus que leur montant. N'oublions pas son complexe d'infériorité. Ce peuple veut sa grandeur plus qu'il n'en a conscience. Aussi ses dirigeants doivent-ils pouvoir dire qu'ils ont « tenu » en face des Américains.

Ainsi le général Marshall, malgré son tempérament exceptionnel d'homme d’État, n'a-t-il peut-être pas joué le rôle d'arbitre qu'il eût pu remplir. Tel est le véritable échec de cette conférence.